
Milena Morel et Chloé Esdraffo sont adhérentes de La Louve et impliquées avec enthousiasme dans ce projet de supermarché coopératif.
Dans deux ans, une grande surface pas comme les autres devrait voir le jour dans le 18e arrondissement de Paris. Il s’agira d’une coopérative alimentaire quip proposera à ses membres des produits de qualité à des tarifs attractifs. En contrepartie, ceux-ci devront y travailler bénévolement quelques heures par mois. Rencontre avec deux de ses membres.
Seriez-vous prêts à donner un peu de de votre temps libre chaque mois pour travailler dans un supermarché ? En contrepartie, vous pourriez y faire vos courses à des tarifs moins élevés - de 20 à 40% - que dans les autres grandes surfaces. Si oui, alors ferez-vous sans partie des futurs membres de la coopérative alimentaire La Louve qui compte ouvrir une grande surface d’ici à la mi-2015 dans le 18e arrondissement de Paris, probablement dans le quartier Simplon. De quoi rappeler la grande époque des coopératives ouvrières parisiennes du XIXe siècle, telles La Bellevilloise ou L’Égalitaire.
L’idée de La Louve est directement inspirée de la Park Slope Food Coop dans le quartier de Brooklyn à New-York, ouverte en 1973. Laquelle compte aujourd’hui la bagatelle de 16 000 membres. C’est un vrai supermarché de 1200 m2, qui propose des produits alimentaires ou non, prioritairement bio et éthiques. Pour y faire ses courses, il faut être adhérent de la coopérative et s’engager à accomplir diverses tâches (administration, nettoyage, caisses, mise en rayon, etc.) à raison de 2h45 toutes les quatre semaines.
Le bénévolat comme modèle économique
Ce bénévolat assure 75 % du travail à effectuer, le reste étant assuré par des salariés. Ce sont deux Américains vivant à Paris, Tom Boothe et Brian Horihan, qui ont eu l’idée de répliquer l’expérience à Paris. Le supermarché de La Louve fonctionnera donc sur un modèle identique : une adhésion annuelle (25 euros), un investissement initial (100 euros, payés une fois et remboursés en cas de départ de la coopérative) et des vacations mensuelles obligatoires.
« On ne sait pas encore quelle sera la durée et la fréquence de ces vacations, à la Louve, explique Chloé Esdraffo. Cela dépend encore de divers facteurs, comme les heures d’ouverture, mais ce devrait être du même ordre qu’à Park Slope. » Agée de 35 ans, la jeune femme qui travaille à la communication des Ateliers du Sudden (école et cours de théâtre) fait aujourd’hui partie de la centaine de membres de l’association Les amis de la Louve, en charge de mettre en place le projet via divers groupes de travail (communication, finance, pilotage...). C’est un ami qui lui a parlé de ce projet. Elle a alors eu envie de s’y investir. Milena Morel, 26 ans, est une autre membre. Elle travaille dans une association culturelle du 18e, La Sierra Prod et fréquente déjà La Ruche qui dit oui !. « Je suis attentive à ce que je consomme, dit-elle. J’étais allée à une réunion par curiosité. Ils cherchaient du monde, et j’ai choisi de m’engager. »
- Park Slope Food Coop, dans le quartier de Brooklyn à New-York, est le modèle de supermarché coopératif revendiqué par La Louve. Photo © La Louve
L’idée n’est pas complètement neuve dans le 18e (arrondissement qui aurait compté la première coopérative parisienne de consommation, la Société civile coopérative de consommateurs du 18e en 1866). L’Indépendante, une petite coopérative alimentaire axée sur le bio fonctionne déjà depuis 2011 sur ce principe d’autogestion et de bénévolat. « Mais la taille de notre projet n’a vraiment rien à voir, souligne Chloé. La Louve sera un vrai supermarché, ouvert du lundi au samedi, et accessible à tous. Le nombre de membre ne sera pas limité. C’est une idée nouvelle, il n’y a pas d’équivalent ailleurs en France. » Le réseau de boutiques Biocoop, par exemple, ne fait pas appel à du bénévolat de membres, et fonctionne avec des salariés.
Le concept séduit. Grâce à un « buzz » qui a bien fonctionné, La Louve a dépassé sur le site KissKissBankBank son objectif de collecte de 32 000 euros auprès des internautes mécènes. Les demandes d’adhésion affluent. De quoi poser dès janvier 2014 une première brique symbolique du projet : l’ouverture d’un local d’une soixantaine de mètres carrés dans le quartier de la Goutte d’or. Ce lieu permettra notamment la distribution des produits du groupement d’achat auquel ont déjà accès les membres de l’association, prémisse du futur supermarché.
Un projet soutenu par la mairie du 18e
L’argent récolté via le Net permettra aussi de réaliser les investissements de départ (réfrigérateurs, ordinateurs, création d’un premier emploi salarié pour monter les dossiers de recherche de fonds...) Aujourd’hui, la future coopérative est à bâtir entièrement, et l’association a du pain sur la planche. « Mais c’est ça qui est enthousiasmant : faire partie du cette expérience dès le début », souligne Milena. Le projet est aussi soutenu par la mairie du 18e, qui aide à trouver le futur lieu du supermarché. La coopérative recourra aux emprunts bancaires pour bâtir ce supermarché à but non lucratif.
Que trouvera-t-on dans les rayons de la Louve ? Un peu de tout - à l’exception de produits d’ores et déjà « blacklistés » (OGM et certains additifs chimiques) : produits alimentaires, d’entretien, d’hygiène, de petit bricolage (ampoules, etc). Les membres de la coopérative décideront du contenu des rayons lors d’assemblées générales. Le bio et la production locale seront des axes forts, mais pas des dogmes incontournables. Tout dépendra des besoins, des prix de revient, de la disponibilité... « Pour le café ou certains fruits exotiques, impossible de s’approvisionner en France », rappelle Milena.
La Louve aura un credo : vendre des produits de qualité. Le groupe en charge de l’approvisionnement se fait notamment conseiller par des experts, comme Antoine Jacobsohn responsable du Potager du Roi, ou Xavier Thuret, meilleur ouvrier de France 2007 dans la catégorie « fromages ». Il s’agira aussi de rémunérer de façon juste les producteurs, et de proposer aux adhérents des tarifs attractifs : 20 % à 40 % moins chers que ceux du marché. Une réduction possible grâce aux marges basses définies par la coopérative et au bénévolat des adhérents.
Un dispositif qui fait grincer des dents. « On nous demande souvent s’il ne s’agit pas de concurrence déloyale et la question peut se poser, admet Chloé. Mais le supermarché devrait s’implanter dans un endroit du 18e où l’absence de commerces de proximité pose problème. Et puis, quand même, nous allons créer des emplois salariés dans le supermarché et aussi faire travailler des producteurs. » Selon elle, « les commerçants autour de Park Slope n’ont pas souffert de la présence de la coopérative ».
Les habitants du quartier impliqués
Sur son site Internet, La Louve assure que le travail bénévole pour ce type d’activités est bien légal. En tout cas, pas question de rigoler avec les vacations : si une certaine souplesse sera de mise (en cas de maladie, etc), il faudra assurer et rattraper si nécessaire les heures non effectuées. « Mais tout ça reste encore à définir au niveau des modalités », estime Chloé.
Autre critique récurrente : La Louve serait un « truc de bobo ». « Alors, ça oui, ça revient tout le temps quand j’en parle », soupire Milena. Et Chloé de répondre : « Il n’y aura pas que des produits bio, d’abord. Ensuite, ce sera un supermarché d’habitants du quartier. Je mets au défi de dire qu’Amiraux/Simplon est un quartier bobo. Ca m’énerve un peu d’entendre ça. » Pour Milena, « nous allons faire la démarche d’aller voir les associations, les résidents, y compris ceux qui n’ont pas forcément les moyens. Le but est vraiment de les intégrer à ce projet ». À ce sujet, la question d’un échelonnement du paiement de l’investissement de 100 euros est envisagé, « justement pour permettre aux moins aisés d’entrer dans la coopérative ».
- La Louve aura un credo : vendre des produits de qualité 20 % à 40 % moins chers que ceux du marché. Photo © La Louve
La Louve pourrait aussi ouvrir une crèche pour accueillir les enfants des adhérents venant travailler ou faire leurs emplettes, ainsi qu’un bar, « qu’il serait judicieux d’ouvrir à tout le monde », pense Chloé. Le supermarché visera aussi à « sensibiliser le public aux enjeux alimentaires et souhaite devenir un lieu d’échange et de partage autour de la nourriture », comme on peut le lire encore sur le site Internet de la future coopérative. Documentation, ateliers de cuisine, rencontres seront également au programme.
En attendant, les bénévoles s’activent, réfléchissent, se réunissent. « Il faut beaucoup s’investir, mais c’est un plaisir », considère Chloé. « À l’avenir, on travaillera dans notre supermarché, dont nous serons propriétaires. Tout cela a du sens pour nous. Même si le balayer à 22h après le travail ne sera pas forcément toujours marrant, le projet vaut le coup. » Et d’ajouter, « quitte à sortir les grands mots, je considère que cela donne un sens à ma vie ».
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